LA DEFENSE D’ARRAS - PARTIE DE LA PERIODE D’ARTOIS (du 1er octobre 1914 à mai 1915)
Dans la nuit du 28 au 29 septembre, le 159è est relevé. Ce n’est pas pour aller au repos. L’heure est encore trop grave pour que les Alpins puissent se reposer. Mais ici, l’ennemi fatigué semble ne plus vouloir forcer le passage. La situation se stabilise. Sur la marne, les allemands viennent d’enregistrer une retentissante défaite. Là non plus, ils n’ont pas passé. Ils chercheront une autre route pour atteindre le cœur de la France : c’est vers le nord que cette fois, ils concentreront le gros de leurs troupes. Fidèles à leur vieille tactique de mouvement débordant, ils vont chercher à tourner l’Armée Française par la gauche. Ce sera la bataille de la course à la mer et les Alpins du 159è auront à y jouer un rôle des plus importants et des plus glorieux : ils assureront la défense d’Arras.
Le 29 septembre, le régiment est embarqué. Il arrive à Arras le 30 septembre et, dès le lendemain 1er octobre, il ira au-devant de l’ennemi qui s’avance vers la grande cité. Les riches plaines d’Artois ont succédé aux sombres monts vosgiens. La montagne était leur affaire, à ces rudes Alpins entraînés aux plus périlleuses ascensions. Ils vont faire leurs premières armes en pays plat et là comme ailleurs, se couvriront de gloire.
L’ennemi est, signalé vers Douai, Croisilles, Saint-Léger, Ervillers. Le 159è reçoit d’ordre d’opérer en cette direction, dans le secteur compris entre la route d’Arras-Cambrai et la Scarpe. Les unités non employées aux avant-postes doivent cantonner, dans la nuit du 1er au 2 octobre, à Monchy-le-Preux. Mais, arrivant devant Monchy, les premiers éléments sont accueillis à coups de fusil par les allemands qui ont réussi à s’emparer du village une demi-heure avant l’arrivée du 159è. Le 2ème bataillon réussit cependant à pénétrer dans la localité où il entame avec l’ennemi qui s’accroche aux lisières sud-est une lutte qui dure toute la nuit. Sur certains points, Allemands et Français sont au corps à corps et presque mélangés. Dans ces conditions, une attaque de nuit devient impossible. Le 2è bataillon reçoit donc l’ordre de se maintenir seul dans le village pendant que les deux autres bivouaquent le long du chemin chapelle de Feuchy-Monchy. Le 2 octobre, à 5 heures, le colonel commandant le régiment fait attaquer le 1er bataillon par le sud, de façon à déborder les éléments ennemis qui tiennent encore les lisières sud-est de Monchy. L’attaque réussit et le village tombe entièrement entre nos mains. A la suite d’un retour offensif des allemands, il se produit quelques fléchissements dans les corps opérant en liaison avec le 159ème. La position du bataillon qui est à Monchy-le-Preux devient critique ; ordre lui est donné de se replier. Sous sa protection, le reste du régiment se replie également et vient prendre positions vers les boqueteaux à un kilomètre nord-ouest de Monchy, en direction générale de la chapelle de Feuchy. A midi, le régiment reçoit l’ordre de se rendre au sud de Feuchy et d’y organiser un ouvrage dans l’après-midi, sous le feu violent des batteries ennemies ; Pendant que le 3ème bataillon en organise un autre à l’est de la chapelle de Feuchy., à cheval sur la route de Cambrai et la route de Feuchy-chapelle de Feuchy. La nuit se passe sur ses emplacements.
La journée du 3 octobre est calme jusqu’à 15h30, heure à laquelle nos positions sont attaquées par une forte colonne ennemie comprenant de l’infanterie, de la cavalerie et de l’artillerie. Cette attaque est littéralement broyée sous le feu de nos batteries. Cependant, l’allemand récidive vers 17h en essayant de déborder notre gauche. Grâce à la disposition des ouvrages établis en contre-pente, cette nouvelle attaque est encore repoussée. Le combat ne se termine qu’à la nuit pour reprendre plus violent le lendemain. Au matin du 4 octobre, la situation n’a pas changé ; les cadavres allemands, débris des trois bataillons qui ont attaqué la veille, gisent épars devant nos lignes. L’artillerie ennemie soumet nos tranchées à un tir violent, mais sans grands résultats. Des colonnes ennemies signalées vers Fampoux et le Point du jour sont prises à partie par nos batteries et nos mitrailleuses, qui les dispersent. Sur le front du 3è bataillon, l’ennemi tente d’attaquer, mais ses colonnes d’assaut sont fauchées par la section de mitrailleuses dès qu’elles essaient de se montrer. Toute la journée, en raison du peu de distance qui sépare les tranchées boches des nôtres, crépitent des feux violents d’infanterie. Le régiment tient ferme sur ses positions et, en fin de journée, pas un pouce de terrain n’a été gagné par l’ennemi.
La nuit est calme. Le 5, nouvelles attaques, toutes également repoussées. Mais dans la soirée, un renseignement fait connaître que les éléments du 10ème corps engagés au sud de la route de Cambrai ont dû se replier. Le groupe d’artillerie à la disposition du colonel commandant le régiment reçoit l’ordre de se retirer sur Sainte-Catherine. Désormais, en extrême-pointe, menacé sur ses deux flancs et sans appui d’artillerie, le 159ème se trouvait dans une situation très délicate. La défense devenait impossible. A 23h30, le régiment reçoit l’ordre de se replier sur Blangy en laissant des postes de surveillance sur ses emplacements actuels. Le repli commence le 6 octobre à 8H30 du matin et s’exécute sans incidents grâce à une brume très épaisse qui diminue beaucoup la visibilité.
Les 3 bataillons viennent cantonner dans les rues avoisinant le château de Blangy et le moulin sur la Scarpe. A 4 heures, le colonel reçoit le commandement de la défense d’Arras entre la Scarpe et la route de Cambrai ; il dispose pour cette mission du 159ème RIA et du 61ème BCP. Le 3ème bataillon occupe une ligne de tranchées établies en bordure du plateau nord du faubourg Saint-Sauveur, entre la voie ferrée et l’entrée ouest de Tilloy. Le 61ème BCP occupe Tilloy. Le 2ème bataillon reste en réserve vers le château de Blangy et le 1ER est mis à la disposition du général commandant la DI. A 9 heures, par suite d’un fléchissement des unités combattant au sud de la route de Cambrai, le 159ème reçoit l’ordre de se replier sur Sainte-Catherine. Les 2ème et 3ème bataillons sont arrêtés au carrefour des routes 400 mètres nord-ouest de l’église de Sainte-Catherine ; le 61ème BCP parvient, non sans difficultés, à regagner Blangy. La situation d’Arras devient critique. Va-t-il falloir abandonner la grande cité à l’ennemi ? Non, car, sous le commandement du colonel Mordacq, le 159ème va disputer le terrain pied à pied à un ennemi supérieur en nombre et, au prix de sanglants sacrifices, arrivera à l’emporter et à interdire l’entrée d’Arras aux allemands. A 13h, le général Barbot, commandant de la division, vient prendre la direction de l’ensemble de la défense d’Arras et il donne l’ordre au régiment de reprendre ses emplacements au matin. Ce mouvement s’opère sous le feu excessivement violent des batteries ennemies de tous calibres. La nuit se passe sans incident.
La journée du 7 octobre est marquée par les tirs continus des canons allemands et par une attaque violente sur la Maison Blanche, que tient la 1ère compagnie. Des éléments parviennent à s’infiltrer à l’ouest de la route Bochincourt-Maison Blanche.
Les deux compagnies du régiment coopèrent à une attaque de la 88ème brigade et, grâce à leur mouvement, la 1ère compagnie qui tient solidement à la Maison Blanche parvient à capturer les 70 allemands qui avaient réussi, la veille, à s’infiltrer dans nos lignes. Le terrain est couvert de cadavres ennemis. La nuit se passe sans incident, sur les positions pour les compagnies engagées, et à Saint-Laurent et Saint-Sauveur pour le reste du régiment.
La situation semble s’éclaircir, l’ennemi devient moins agressif à partir du 9 octobre. Le régiment continue à monter solidement la garde aux portes d’Arras, en organisant le mieux possible les tranchées et ouvrages qu’il occupe.
A plusieurs reprises, le secteur du 159ème est modifié.
L’infanterie ennemie ne tente pas d’attaquer. Le régiment a cependant à subir les effets du tir presque incessant des canons allemands de tous calibres.
Le 21 octobre, le 159ème occupe les emplacements suivants :
Le 1er bataillon à gauche de la patte d’oie (800 mètres sud-est de la Maison Blanche) jusqu’à la Maison Blanche incluse.
Le 2ème bataillon à droite de la Patte d’Oie jusqu’au parc sud-est de l’Eglise de Saint-Laurent.
Le 3ème bataillon, d’abord en réserve à Saint-Nicolas, est envoyé à Saint-Laurent. Une de ses compagnies occupe l’ouvrage de la sortie nord-ouest de Saint-Laurent.
L’ennemi va essayer de reprendre sa marche en avant. A 15h, la canonnade, qui n’a pas cessé depuis le matin, redouble de violence. A la faveur de cette intense préparation d’artillerie, les allemands peuvent venir se masser dans un terrain en angle mort à une centaine de mètres des tranchées occupées par les 3ème et 8ème compagnies. Ils attaquent à 16h et, malgré la résistance désespérée de nos hommes qui luttent à la baïonnette, ils parviennent à prendre pied dans nos tranchées. Ordre de contre-attaquer est donné. Les positions perdues doivent être reprises coûte que et quelles que soient les pertes. Mais la nuit qui arrive gêne la contre-attaque qui ne réussit pas complètement. Elle se poursuit le lendemain dès la pointe du jour. Les Alpins, malgré leur courage, ne peuvent arriver à reprendre les éléments de tranchées perdus. Les mitrailleuses ennemies, peu gênées par le tir de notre artillerie, les obligent à s’arrêter dès qu’ils tentent de progresser. La situation est pénible sur certains points que les Allemands prennent d’enfilade. Vers 15 heures, leurs pièces lourdes redoublent d’activité. Certains points sont particulièrement bombardés, si bien que les unités qui les occupent, après avoir considérablement souffert, doivent les évacuer, entraînant ainsi la chute de toute la ligne tenue par les 2ème et 3ème bataillons
Les éléments qui battent en retraite s’arrêtent et se reforment au carrefour de la sortie ouest de Saint-Laurent. La défense s’y organise. Le 1er bataillon est attaqué violemment à son tour, après avoir essuyé un bombardement très intense. Il oblige l’ennemi à répéter trois fois son assaut et lui fait subir chaque fois des pertes considérables. Il bat en retraite par échelons tout en continuant à infliger à l’assaillant de dures pertes et vient s’établir sur une deuxième position de défense à hauteur de la ferme Chantecler.
Le Boche épuisé ne tente pas de pousser plus avant et la nuit se passe calme sur les diverses positions. Aucune attaque nouvelle dans la journée du 23 octobre. Mais le régiment reçoit l’ordre d’évacuer ses positions et d’aller cantonner à Beaudincourt, où il arrive le 24 à 3h. La journée est utilisée à faire reposer les hommes, à reformer les unités. Il n’y a plus que 8 compagnies formant un ensemble de 1215 combattants seulement. C’est assez dire pour montrer le caractère de la lutte que le 159ème mène depuis 3 jours.
Mais, à ce prix, Arras est sauvée. Le résultat vaut le sacrifice, car n’a-t-on pas dit de la grande cité artésienne qu’elle était « la clé de la mer » ? Désormais, fatigué par la résistance opiniâtre de no Alpins et véritablement à bout de souffle, l’ennemi comprend qu’il a raté sa manœuvre et ne fera plus de gros efforts.
Est-ce à dire que la période qui va suivre sera moins dure que celle qui vient de s’écouler ? non certes, mais elle aura un autre caractère. Une ligne ininterrompue de tranchées va maintenant de la Suisse à la mer du Nord. L’ère de la guerre de mouvements est close. On ne reverra plus, pour le moment du moins, les charges héroïques à découvert. Dès maintenant, on va vivre sous terre, on se battra dans un tombeau. Ce sera l’époque de la stagnation dans la boue, souvent rouge de sang de nos soldats, car si les objectifs sont devenus rares pour le fantassin allemand, si la tranchée protège contre les fusils et les mitrailleuses, elle ne résistera pas aux furieux bombardements qui vont commencer. Ce sera la guerre de l’artillerie, la guerre affreuse où l’on est obligé de recevoir les coups sans pouvoir les rendre soi-même. On s’acharnera à exécuter une belle tranchée, un abri commode où l’on pourra vivre et viendront les puissantes rafales des 150 et des 210 qui, en quelques heures, retourneront, bouleverseront votre travail comme ferait un cyclone. Pour être à l’abri des coups, on s’enfoncera davantage dans la terre. Nouveaux troglodytes, on vivra dans des cavernes où jamais ne pénétrera la lumière du jour. Là, du moins, on sera en sûreté ? Non, pas encore, car viendra la mine sournoise et traîtresse qui, au moment où on s’y attend le moins, pulvérisera abris, tranchées et occupants.